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Soleil Noir

Hier, j’accumulai la dernière goutte d’eau d’un vase émotionnel bien trop rempli. Sept ans de mariage, sept ans de mensonges, sept ans de malheur. Je n’avais cassé aucun miroir pourtant. J’ai tenu bon, au nom de l’Amour, pour en arriver à ce soir-là. Notre dernière dispute ; celle où il m’annonçait partir avec une autre tandis que je lui servais son repas. Tout cela, parce qu’il ne me voit plus femme depuis la perte de mes seins. J’aurais aimé qu’il soit cancer pas gémeaux. Peut-être serait-il resté, lui aussi.


À bien des égards, maintenant que j’y repense, cette dispute avait des allures de dernière Cène : le lendemain serait tragique. Pourquoi ? Parce que vint ce jour d’après, ce jour mémorable dont l’histoire commence par un A, comme aujourd’hui ; ce lendemain de trop où je suis à bout dès le réveil d’une nuit aussi blanche que mon teint pour avoir vidé, à chaudes larmes, le vase de mon ressentiment ; à bout de nerfs, à bout de force, d’avoir porté, seule, une vie de couple à bout de bras. Je suis épuisée.


Aujourd’hui est ce jour où le soleil se lève, noir, après une nuit blanche. Ce genre de jour où les ténèbres prennent le dessus lorsque la raison et le cœur tombent dans les méandres de mon désespoir. Je veux que cela cesse. Tout doit finir maintenant. Mais comment ? Jamais ma créativité n’a été aussi vive qu’à cet instant où elle devient moribonde. Le voile se lève sur les objets du quotidien, m’offrant pléthore de possibilités.


Le couteau n’a jamais été aussi attirant. Tel l’épée d’un chevalier venu occire mes démons, il me sauve d’un destin qui n’est pas le mien. Moi aussi, j’ai droit à mon prince charmant ! Je l’imagine déjà danser avec moi, dans son armure, métal contre peau. La fraicheur de son contact marié à la chaleur de ma détresse a quelque chose de romantique. La tendresse de sa lame caressant mon corps se révèle être un plaisir auquel résister ne serait que souffrance gratuite. Qui refuserait cette sensation libératrice ? Pour peu, on en tomberait amoureux ; désespérément. La douceur du divin nectar s’écoulant alors le long de mes bras, ôtant au passage les affres d’une réalité devenue trop acide, est jouissive, presqu’orgasmique. L’abondance liquoreuse de la vie elle-même exhalant pour tous mes pores, me donne d’inexorables envies d’encore. Intarissable finitude ; je suis enivrée.


Non loin de là, sur la table de la cuisine, la boite de médicaments me fait de l’œil elle aussi. Je ressens la puissance de la magie qu’elle renferme. Un tel pouvoir… Si je le fais mien, je deviens magicienne. Que dis-je, enchanteresse ! Fini les maux ; Pandore en serait jalouse… Cette idée m’affole. Ça me plairait d’être l’objet de convoitises pour une fois ! Être là et puis, tout à coup, n’être plus. Planer, voler puis me transformer en nuage ; et abattre mes foudres sur tous ces cons. Le trait d’humour n’en serait que plus spirituel. Libérée de mon carcan de chair, je m’offrirai un aller simple vers le pays des merveilles. Mystique serait le spectacle. Unique. J’entends déjà retentir les applaudissements d’une audience en liesse, bouleversée par l’effet de la surprise ; je les vois rire aux larmes, hurler leur joie et acclamer ma prestation. Peut-être me jetteraient-ils des fleurs, pour changer. Consécration de ma solitude ; je suis excitée.


Le fenêtre me déroule le tapis rouge telle une porte vers le Paradis, afin que je quitte cet Enfer qui est le mien. Elle m’invite à faire mon entrée en scène, la dernière. Mourir sur scène, peut-on seulement refuser pareil honneur ? L’oscar de la meilleure actrice est à portée de main, récompense ultime pour ce drame innommable que fut ma vie. J’espère rafler celui du meilleur réalisateur aussi ; je me suis donnée corps et âme pour ce film après tout ! Passer de l’ombre à la lumière, enfin. Je sens les projecteurs tournés vers moi, me brûlant de leur feu divin. Ils sont pressés de me voir descendre les marches de cet escalier invisible pour admirer ma fulgurante ascension vers les sommets de mon art. Moi aussi je brûle d’impatience. Je veux atteindre le ciel et devenir cette étoile ; star parmi les autres, brillant au Panthéon des plus grands incompris de ce monde ; être une célébrité. Posthume, certes, mais une célébrité quand même ! Damnation par la béatitude ; je suis soulagée.


Le voile levé sur les objets du quotidien, je ne sais pas où commencer. Je suis perdue, pourtant je vois la fin, au loin… Et après ? Je ne vois plus rien. Mais je ne perds pas espoir pour autant. Peut-être aurai-je droit, moi aussi, à ma résurrection.


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